Toujours d'après le pièce de Valère Novarina, ci-dessous, le troisième exercice de mémoire pour le week-end !
Episode 3
Louis de Funès était au théâtre un acteur doué d’une force extraordinaire, un danseur fulgurant qui semblait aller au-delà de ses forces, excéder la demande et donner au public dix fois plus que les figures attendues, tout en restant parfaitement économe de son effort et toujours prêt à recommencer. Un athlète de la dépense. Un maîtriseur d’énergie : entre deux crises paroxystiques, sa sobriété exemplaire et la pureté de son jeu rappelaient Hélène Weigel.
Je n’ai vu ces deux grands artistes sur scène que deux fois : Funès dans Oscar et Weigel dans La Mère. Hélène Weigel ne semblait jouer que d’une main, le corps très étrangement déstabilisé et musical, toute symétrie parfaitement découplée, comme chez les acteurs de l’Orient. Sa voix, placée tout près du chant, était beaucoup moins tonitruante que celle des acteurs français et il fallait presque tendre l’oreille vers le spectacle, subtilement accordé à son diapason. Ce « parlé-chanté », ce style si délié, cette manière si musicale de se mouvoir, je les retrouve aujourd’hui, chez Leièlè Fischer et Léon Spigelmann, acteurs du Théâtre Yidisch de Paris.
Weigel excellait dans le « parlé-chanté » : Sprechgesang : Louis de Funès dans le « marché-dansé » : Schrittgetanz. Sa silhouette était celle d’un danseur exultant ou soudainement d’un dépressif pétrifié. « Arrêté-bondi ». Le grand maître des mimiques, des verbigérations muettes et des hurlements tus. Le cinéma donne trop souvent une image partielle de son art en n’en filmant que les crises aiguës : l’accès grimacier, les mille colères, le bondissement n’étaient au théâtre qu’un moment de son jeu, une intensité suprême qu’il fallait savoir attendre, pressentir, et qui ne survenait, comme la danse du sbité dans le nô, qu’après un long calme tendu et comme un couronnement de l’émotion.